*Article version longue, co-écrit avec Johannes Herrmann « chronique naturellement » pour la revue limite n°9
Maxime Le Forestier chantait la tristesse de l’arbre des rues, étouffé sous le béton, asphyxié par les fumées. On pourrait ajouter : brutalement élagué, tronçonné sans merci pour le moindre chantier. Comme si l’on n’arrivait pas à savoir si l’on veut de lui ou pas. Ainsi s’est-il retrouvé, pendant deux siècles, simple mobilier urbain (sic), planté en alignements réguliers, kif-kif les réverbères en fer forgé. Aujourd’hui, c’est comme machine à lutter contre les îlots de chaleur qu’il intéresse et non comme un patrimoine avec son histoire sur un territoire et ces usages.
Chaque fois que nous avons créé un enfer et voulons l’adoucir, ça ne rate pas : nous réinventons l’arbre. Une fois planté, nous râlons : cet arbre prend de la place. Nous anticipons mal son étalement dans l’espace tant aérien que souterrain. Un arbre peut étendre son système racinaire sur un rayon supérieur à sa propre hauteur, mais il devra pour cela frayer son chemin dans l’enchevêtrement de câbles et de réseaux du sol urbain. C’est une affaire de vie ou de mort. Outre l’ancrage, les racines, radicelles et poils absorbants ont pour rôle de capter l’eau et les sels minéraux qui forment la sève brute ; enfin, elles s’enveloppent de champignons, qui forment des associations symbiotiques vitales. Sans ces mycorhizes qui prolongent le réseau racinaire, l’arbre périclite (90% des arbres en développent), à la merci de la sécheresse, des maladies, des insectes ravageurs. En échange, l’arbre apporte au champignon des glucides photosynthétisés. La bonne gestion de notre agriculture à l’avenir sera cette gestion raisonnée des micro-organismes qui interviennent à toutes les étapes du développement des végétaux et les mycorhizes sont au centre de tous ces mécanismes.
D’apparence solide, les arbres sont sensibles aux agressions: des élagages trop rigoureux, un manque d’eau à leur pied goudronné ou tassé… 80 % des maladies (souvent champignons lignivores « mangeurs de bois ») présentes dans les arbres sont des conséquences des tailles maladroites, des tailles « faire propre » et pourquoi ? Parce que les techniciens vous diront : parce qu’on a toujours taillé. L’arbre n’est pas une vague matière pour sculpteur urbain : c’est un être vivant. Dans la ville, qui n’est pas son milieu, qui est même un univers franchement hostile, aride et pollué du sol à l’atmosphère, il faut en prendre soin.
Très gênant dans la grande ville où l’homme lui-même n’a de raison d’être qu’en tant qu’il est fonctionnel, productif ! Planter un arbre, remarquait un chef de service d’une métropole, c’est un acte complètement à contre-courant : il est altruiste et sur le long terme. Celui qui le fait n’en profitera pas : il fait un cadeau à des gens, des générations qui ne sont pas encore nées. L’arbre en ville est réduit à une machine qui résout des problèmes – les îlots de chaleur, la pollution, la « trame verte urbaine » ou le corridor écologique même –, mais si, en fin de compte, nous hésitons à végétaliser nos villes, c’est sans doute parce que ce ne sont pas nos problèmes qu’il réglera. Un chêne centenaire ne croît pas en dix ans ; une essence inadaptée au sol et au climat périra misérablement. Planter un arbre, c’est juste un don pur, payé par nous, à des individus, à des générations qui n’existent même pas encore.
« La première qualité que je vois aux arbres ce sont leurs modesties et leurs discrétions » (Francis Hallé)
Les choix qui président aux plantations traduisent nos hésitations, notre vision trouble. Objet décoratif ou élément de nature ? Forme géométrique ou être vivant ? Quel arbre pour quelle utilisation ? Dans le bocage, l’arbre, « ça va de soi » ; il préserve des aléas climatiques et sa pluviométrie imprévisible et capricieuse, il maintient en place les sols pentus, superficiels et sensibles à l’érosion, il garantit un ombrage aux cultures et aux bêtes domestiques et sauvages. Bref, l’arbre champêtre est un « arbre du cru » véritablement utile. Dans nos immenses plaines céréalières, territoires-usines nus comme la main, on cherche en vain le moindre boqueteau. En ville, nous le voulons sans le vouloir tout en le voulant ; ou plutôt nous aimerions qu’il rapporte, sans rien coûter. Éternel drame de l’approche techniciste…
Ce sont souvent les choix esthétiques ou utilitaires qui prévalent sur le respect de l’arbre comme être vivant et part d’un écosystème. Au-delà d’être une usine vivante qui prélève le gaz carbonique de l’atmosphère, sans bouger (photosynthèse) ; l’arbre possède des facultés d’adaptation extraordinaires, en particulier celle de reformer les parties détruites et de savoir comme personne : s’adapter au changement climatique. Un arbre vit tellement longtemps que le changement climatique est un peu banal, les arbres peuvent faire émerger de nouveaux génomes. La plante émet des drageons, c’est un exemple parmi tant d’autre de réitération, la racine émet non pas une ramification racinaire, mais une tige feuillée verticale et ce clone peut apparaître à une grande distance du tronc.
De là, nos cités remplies de « cultivars » ou d’exotiques inutilisables par la faune de nos régions, voire franchement nocifs à l’instar du funeste tilleul argenté au pied duquel on trouve abeilles et bourdons morts par centaines. Au contraire, le Tilleul commun (Tillia cordata et platyphyllos) reste la star des pollinisateurs et de la générosité : tout se mange, les feuilles et les graines, les fleurs sucrées pour l’infusion… Et pourtant, sans arbres, nos villes étouffent, le peu de vie sauvage qui subsiste meurt, notre regard se durcit. Nous n’acceptons plus le moindre brin d’herbe au pied des trottoirs ; l’arbuste, même planté, « fait sale » ou hostile. Elles sont propres, nos villes, propres et grises comme des cours de prison ! À l’heure où même les moineaux disparaissent, plus aucune vie ne va de soi : chacune doit être entourée de soins attentifs. La nature c’est gentil mais pas trop prêt et bien parqué. De plus, comme nous le démontre Masanobu Fukuoka dans son vergers d’agrume sur les versant de la baie de Matsuyama (sud Japon), un arbre devient plus forts s’il celui-ci est planté avec soin (Un arbre peut étendre son système racinaire sur un rayon de dimension supérieure à la hauteur de l’arbre, il faut compter 6m d’écart pour la plantation d’arbres qui dépasseront 20m de haut) et si on lui permet de suivre la forme naturelle depuis le début et à partir de là, les intervention de taille sont minimes.
L’arbre et la végétation en ville ne peuvent être réduits à des machines, au rendement objet de mesquins calculs. Ils ne servent à rien, si ce n’est à nous faire vivre. Notre regard sur l’arbre, l’arbuste et l’herbe en ville dit beaucoup de notre rapport à la vie : celle de l’autre, et la nôtre. Quelle place allons-nous lui laisser ?
Alors, faisons connaissance. L’arbre sollicite nos cinq sens. Sans parler de reliance chamanique, mais simplement de reconnaissance ; le fait de toucher un tronc et de reconnaitre l’espèce les yeux fermés, d’écouter le vent dans les feuilles, sentir l’humus des feuilles tombantes et manger les jeunes feuilles d’un Tilleul au printemps nous aident à mieux comprendre sa place nous devons la revendiquer maintenant, dans nos « smart cities » obsédées de performance.
Sources (pour mieux connaitre l’arbre) :
– Internet : L’agroforesterie, mieux comprendre les complémentarités de l’arbre et des cultures au sol
– Livre : Francis Hallé, Du bon usage des arbres, Actes Sud, 2011
– Vidéo : L’Intelligence des Arbres de Julia Dordel et de Guido Tölke
– Radio : La migration des arbres de Brigitte Musch