Quelles ont été les grandes représentations du mythe de l’urbain dans la ville de Détroit qui est lié à tout un courant international et ses représentations historiques depuis la « belle époque fordienne » (1910-1935) et jusqu’au « rêve américain V.2 » entre 1970 et fin 1990. Comment aussi, actuellement, cet urbain se métamorphose avec la gentrification ?
Duane Hanson : le Rêve américain.
Courant de l’Hyperréalisme américain : « Le monde est tellement remarquable, inouï, surprenant, qu’il n’est nul besoin de former le trait ».
Comme expliqués dans la première partie, les sièges du pouvoir étatique et des multinationales sont interconnectés et marchent de façon indépendante à l’échelle mondiale1 : conserver cette déchéance d’endettement pour maintenir une idéologie ultra-libérale qui touche depuis cinq ans ces limites. Détroit, Chicago et New York sont des villes du « modernisme » (1900-1935). Avec ces déclins successifs, un patrimoine d’une certaine époque, encore marqué dans le paysage en état ou en ruine, reste très attirant et d’éventuelles reconversions sont fréquentes comme expliqué dans la partie II. Cette situation accentue dans l’architecture cet écart si prégnant dans les grandes villes contemporaines entre une certaine hyperclasse encore plus riche et nomade, et des classes paupérisées ou des classes moyennes en voie de paupérisation, natives et davantage statiques. L’urbain est, selon moi, le premier vecteur de cette dynamique d’humanité à plusieurs vitesses2. Ces ilots d’anciennes splendeurs architecturales sont alors prévus pour l’homo-économicus d’Alain de Benoit ou de Daniel Cohen, la façade est présente, mais à l’intérieur le vide règne, sans substance productrice pour produire et recomposer un tissu potentiel industriel dans une base de productivité locale. Deux humanités tentent d’évoluer à travers un tantôt en voie de gentrification et tantôt en voie d’abandon : « Ghost-City »3. La gentrification est un phénomène urbain reconnu dans les années 1980 et qui tire son origine dans les années 1960. Dans la city de Londres, on reconvertit des résidences par des initiatives isolées venant d’une petite bourgeoisie décalée ou à New York avec les makers qui ont transformé les anciens docks le long de l’East River, et par la suite, des investisseurs immobiliers plus importants offrent des nouveaux terrains à une communauté davantage nantie4. C’est un indice d’évolution des classes dans une ville, en lien direct avec des phénomènes comme la périurbanisation et la relégation5, qui s’exprime davantage en Europe par l’apport progressif des gated communities pour représenter une gentrification originellement et typiquement anglo-saxonne. D’un phénomène marginal, la gentrification est devenue clairement globalisée depuis le début du second millénaire. Des nouvelles classes créées de toute pièce par le néo-libéralisme « post-industriel », auxquelles appartiennent les avocats d’affaires, les consultants pour multinationales, etc. construisent leurs places dans un espace souvent entouré de zone en dégradation ou en relégation. Ainsi, les quartiers historiquement bourgeois n’attisent pas leur convoitise, comme on peut le remarquer avec l’exemple français qu’est la ville de Versailles. Ils recherchent plutôt les quartiers populaires limitrophes des centres d’affaires ou les espaces frappés par le recul industriel6, souvent accolés à une grande ville. La gentrification des quartiers populaires est différente de l’embourgeoisement des « beaux quartiers » (Neuilly, Puteaux, etc.).
Ce phénomène marginal qu’est la gentrification durant les années 70-80 devient une politique globale des villes à travers le monde et ne touche pas qu’un réseau de « villes globales » (ref. article « néo-nomades »). Il est d’autant plus visible dans une ville au fort contraste urbain comme Détroit. La gentrification est plus assumée publiquement, elle est toujours plus consensuelle et est en adéquation avec les nouveaux acteurs de l’hyperclasse rationnelle et individualiste7 dans son appropriation d’un quartier. Pour la plupart, on le sait très bien, ces politiques schizophrènes renforcent l’isolation de quartiers, des réalités et encourage l’éviction des classes populaires. Ces politiques de la ville lâchent du terrain, on parle aussi de nouveaux partenariats PPP (partenariats publics/privés). Ce type d’initiative ne rentre aucunement dans une politique commune et nationale, elle encourage à long terme la néo-féodalisation. On veut que la ville ne soit pas désertée par les classes à hauts revenus. À Détroit et dans d’autres villes américaines au Michigan, il faut quand même relativiser la gentrification : la suburbanisation8 est encore très forte et la revitalisation d’un quartier va souvent de pair avec une éviction directe et indirecte des populations initiales. Quand on parle de revitalisation cela implique d’emblée de désigner des quartiers populaires « dévitalisés »9 et où la gentrification serait le seul axe capable de sauver la ville. Nous sommes là devant une stratégie de la tension et de la division. La ville malgré elle devient élitiste en justifiant la mixité sociale et en misant sur des offres particulières pour attirer une nouvelle classe qui revitalisera un quartier dans sa spatialité, sans penser à long terme au changement et au remplacement sociologique d’une population. Sur Détroit, à titre d’exemple, il y a actuellement un projet de lofts résidentiels à côté du Renaissance Center.
Comme on l’a vu, la gentrification tend à évoluer dans un contexte global. En outre, l’architecture de Détroit avec sa symbolique a créé une homogénéisation ; une ville devenait globale par ses codes architecturaux, dans les années 1930. Cette instauration d’une architecture planétaire, fut prémices des concepts de l’indistinct et du nomade10.
L’architecture entraine et guide indirectement les modes de vie culturels : la langue, le folklore et l’alimentation. L’esquisse de l’architecture du capital illustre la richesse productive maitrisée et sa rationalité, le « bâti » rentre dans une mythologie acceptée comme représentation des grandes civilisations (Maya, Romaine, etc.). Aux États-Unis en 1920, les habitants sont pour la première fois en majorité citadins. L’exposition « la ville des Titans » de 1925, qui se projetait jusqu’en 2026, voulait répondre aux problèmes de croissance incontrôlables et de concentration dans une métropole moderne en esquissant des cités idéales alliant leurs transformations technologiques et leurs rationalisations dans l’urbanisme11. Dès lors, une ville aux États-Unis se pense avec le « principe du zonage » 12 et des gratte-ciels ordonnés. La « ville gratte-ciel » est par essence américaine et s’est développée par rapport à un complexe d’infériorité national face à la culture européenne, d’après pour Carol Willis13. En effet, l’image de « ville gratte-ciel » doit maitriser sa technologie, planifier sa ville pour bien harmoniser la démocratie et la technologie, certains critères sont revus en réduisant la propriété privée et en instaurant des « centres de décision centralisés », selon les mémoires de H. Ferriss, F. Fujica, et R. Hood qui percevaient la ville tout compte fait comme un réceptacle à l’évolution d’un capitalisme technocratique dans le contexte des années 1920. Ces villes ultra-centralisées et autoritaires dans leurs représentations d’époque rentrent par conséquent dans l’ordre urbain qui rime avec des principes démocratiques, libérateurs, harmonieux et hygiénistes.
À Détroit, on peut passer du style Tudor au post-modernisme des années 1970, dans les codes architecturaux. C’est une ville qui fut fondée du temps des colonies françaises au début du XVIIIe, dans le style City Beautiful14 qui se développa fin XIXe à Chicago et à Détroit en particulier, dont l’emplacement et l’architecture d’un bâtiment mariait l’élégance (antique : grec et romaine) et la finalité sociale et civique, et dont le Michigan Station en est le meilleur exemple.
Les villes construites dans la première partie du XXe siècle se veulent monumentales. L’Art-Déco se veut alors plus adapté aux nouvelles machines, à une vie totalement intégrée à l’industrie qu’on appelle comme les « années folles ». Il y a de la géométrie et de la vitesse tout en empruntant à l’antiquité ou à la culture locale des motifs qui seront des plus épurés15 Et des plus déclinables, afin de commercialiser ce style à travers le monde. Les métropoles modernes se doivent d’insister sur les flux. La démesure des constructions est encore présente avec Londres et Dubaï, la première se construit avec la façade Green-washing, la deuxième hors du temps et des réalités.
Antonio Sant’Ellia ; projet pour le manifeste de l’architecture futuriste en 1914. ©Archi&BD
Auguste Perret et Perret frères, « Villes-tours » : ceinture de maisons de 150-200 mètres de haut, la ville comme « immense square planté de tours ». 1922-32 ©Archi&BD
Winsor McCay; la métropole comme forteresse: rêve américain, la promesse d’un monde à venir. ©Archi&BD
Julian Krupa: Cities of Tomorrow. © Amazing Stories, 1939.
Tous ces croquis et ces projets de villes futuristes anglo-saxonnes projettent et inscrivent ces villes après l’ère des pionniers de la fin du XIXe, dans des thèmes récurrents : la « ville forteresse », la notion du « flux » dans le développement industriel et commercial, les nouveaux modes de transports et l’immigration de masse. Ces projets de villes et encore maintenant tendent à perdre leurs identités et à devenir des métropoles mouvantes et incertaines dans leurs prolongements tout en restant centralisés dans leurs fonctionnements.
Les planches d’époques ci-dessus ont inspiré l’autre côté de l’Atlantique avec la naissance des grandes cités industrielles aux États unis, notamment avec la construction des gratte-ciels américains. Le projet Sant’Elia : présentent une ville du futur hautement industrialisée et mécanisée, conçue comme une vaste conurbation à plusieurs niveaux, interconnectée et intégrée, rappelant en cela l’atmosphère des villes crées par le dessinateur Enki Bilal et Métropolis de Fritz Lang sa principale influence16.
Fritz Lang, Métropolis
En outre, ces projections urbaines au début du XXe siècle auront toujours les mêmes codes : monolithes, passerelles, suprématie des « villes tours » et technologie des transports dans ces villes modernes sont encore criants d’actualité, surtout avec le nouveau Londres, Dubaï et le projet du Grand-Paris. Les villes de New York, Chicago, Détroit qui ont commencé à s’embellir architecturalement à partir des années 20 ont posé des questions aux architectes sur la concentration urbaine, les allers-retours permanents entre les planches de dessin et les constructions sur le terrain ont été jusqu’à penser la métropole du futur de Hugues Ferris en 1929. En revanche, toutes ces planches qui comptent surtout des bâtiments et des infrastructures écrasantes, ont toutes ce point commun : elles oublient « l’habitant métropolitain », donc, l’homme dans la ville. Ces villes se sont particulièrement construites sur la gloire et les représentations, et Détroit en fut un exemple magistral. Les représentations mythologiques des rencontres de civilisations s’inscrivent dans ce mouvement de l’Art Déco, qu’il est important de noter comme indice révélateur d’unité (architecture supranationale aux USA et internationale), rationalité (agencement fonctionnel et intégration créatrice) et géométrie (rigueur orthogonale) qui était à son apogée en 192517.
Le palais Stoclet de J.Hoffman, agencement rigoureux et silhouette ciselée et solennelle. ©Cité-de-l ‘architecture
Facade Daily Express de O.Williams, Londres; Exotisme, rigueur et universalité. 1932. ©Cité-de-l ‘architecture
Rockefeller Center, New York, 1929. Ville dans la ville, contestée à l’époque comme chantier déraisonnable. Cette ornementation d’A. Janniot se veut comme une rencontre des continents européen et américain. ©Cité-de-l ‘architecture
En premier lieu, c’est en France que l’Art Déco fut émergent : l’Hexagone excella dans ce domaine et fut la locomotive qui influença le monde et c’est le style officiel de la République française dans ses anciennes colonies, de l’Afrique du Nord à l’Indochine. Les grands exemples sont le Grand Rex d’Auguste Bluysen et le Gaumont Palace d’Henri Belloc avec le pavillon du renseignement et du tourisme de Robert Mallet-Stevens par ses lignes géométriques et orthogonales dénuées de référence à un style historique vont influencer et séduire au-delà des frontières. Ce sont principalement, les États-Unis qui deviendront en second plan la patrie principale et rayonnante de la propagation de l’Art Déco exclusivement dans son continent Nord-Américain, en particulier Wallace K. Harrison pour le Rockfeller Center, concrétisation de l’universalité des droits de l’homme à travers le monde. L’Art Déco symbolise alors parfaitement l’expression idéale des puissances coloniales et internationalistes de l’exposition de 1907 du jardin d’agronomie tropicale et de celle de 1931 où la « célébration du rayonnement Français »18 avec le musée permanent des colonies (palais de la porte Dorée) ne conçut pas des grands noms de l’Art Déco que sont A. Laprade et L. Jaussely, en passant par Henri Sauvage et son Giant Hotel.
Dans tous ces bâtiments, l’exotisme est pris dans la modernité rendant souvent hommage à des civilisations disparues, et mythiques.
Pavillon-Tunisien, Jardin d’Agronomie tropicale à Joinville – L’orientalisatiion de l’Art Déco
Giant Hotel, une pyramide cubique d’Henri Sauvage
L’Art Déco était déjà en germe avant la Première Guerre mondiale dans d’autres pays européens comme la Belgique et l’Autriche en 1910, comme expression du « retour à l’ordre » orientalisé dans l’architecture. Toutes deux utilisent le « béton acier » (béton armé) dans un rapport de fonctionnalisme (forme et fonction) qui sera le credo de tous les architectes et de ceux qui, aux États-Unis voulaient alors aller plus loin en touchant à l’acier et au verre dans les années 1960. Le verre qui est à l’exposition de 1925 ce que le fer avait été à l’exposition universelle de 1889 avec la Tour Eiffel. L’exposition de 1925 fut comme une « féerie scintillante »19 pour conquérir les États-Unis et le Canada.
Gare de Phnom Penh, Verticalité et orientalisation dans l’art déco, 1932 ; ©Cité-de-l ‘architecture
Pour revenir sur le contexte américain et plus particulièrement Détroit, les lieux de cultes20 se développèrent davantage avec une architecture néo-gothique combinée à l’Art Déco, un peu différent du contexte français, car plutôt axée sur une architecture « néo-byzantine et roman » que l’on retrouve dans l’Art-Deco.
Eglise-Sainte-Odile, Paris, Neo-Byzantins et Art-Deco
Église Sainte-Agnès, Détroit, Néo-gothique et Art Deco
L’architecture des années folles21 fut en recherche permanente de sophistication avec l’assemblage de thèmes chers que sont la « rationalité » (le modernisme) et l’hommage à « l’exotisme » des colonies, ainsi que les exigences locales (les commandes régionales) dans les différents pays, et surtout en France.
Les expositions de 1931 et 1937 amplifient ce phénomène de « classicisme moderne » qui se veut monumental, marquant le triomphe de l’architecture française. De ce fait, l’art déco aura une renommée internationale avec cet élan modernisateur aspirant tout sur son passage pour construire des équipements publics sur la ceinture de Paris avec les HBM, cabinet Boileau, F. Dumail) en passant par des lieux de cultes, des universités22 jusqu’aux tours du capital aux États-Unis (banques, consommation). « Là, ou il y a de l’art véritable, il n’y pas de décoration »23 dit Auguste Perret à qui on doit l’église Notre-Dame du Raincy et l’église Saint-Joseph du Havre. L’abondance des ornements masque la structure et le matériau doit donner l’ornement par ces lignes épurées et la mise en avant de la texture du matériau.
Cette architecture rationalisée apparait là lorsque commence l’industrialisation de masse décrivant une nouvelle existence sociale : l’usine et son siège, les bourses et les palais du travail sont ornementés comme des églises et des temples allant dans une « solennité édilitaire », pour célébrer la gloire du travail et du technicisme. En d’autres mots : « Le beau et l’utile doivent être indissociablement liés », selon les mots du commissaire de l’exposition Edmond Labbé. C’est pourquoi il n’est pas étonnant de constater durant l’exposition de 1937 ces concurrences idéologiques entre le fascisme, le communisme et le pacifisme financier. En effet, l’architecture célèbre la gloire, les prouesses techniques représentées dans une vision mythique du travail, de l’industrie. L’Art Déco synthétise ces codes sacraux (profane) inversant le sacré. Elle présente aussi les apports d’un centre (Métropole) aux périphéries (colonies)
Trocadéro-1937, pavillon du IIIe Reich face à celui de l’URSS ; vantant tous les deux la puissance des deux régimes ©Sylvain Ageorges, Parigramme.
L’architecture et ses mythes liés à l’évolution de la ville se pense avec les idées des hygiénistes et des utopistes du XIXe et du début XXe, d’Ebenezer Howard et Robert Owen avec la « New Harmonie » (penser le village industriel) en passant par Tony Garnier23 jusqu’à Hugh Ferris : tous ont pensé répondre à des défis urbains touchés par l’ère industrielle depuis le constat du Docteur Villermé en 1840 sur les conditions scandaleuses des ouvriers arrivés fraichement dans la ville. Toutes ces villes idéales ont été pensées et fondées sur la collectivisation des sols et sur l’organisation rationnelle des fonctions urbaines avec la croissance de l’industrie. Le Corbusier et son fonctionnalisme se voyaient dans la continuité d’un socialisme humaniste d’un Charles Fourier, avec son ouvrage : « nouveaux mondes et sociétaire », et nomme la communauté la « phalange » en mettant en place la communauté et l’association, cette vision collectiviste du logement était bien différente des idées de Pierre-Joseph Proudhon sur des solutions individuelles de la petite maison. Jean Baptiste Gaudin avec l’idée du « phalanstère fouriériste » construisit le « familistère de Guise », sorte de ruche pour les ouvriers, architectes, ingénieurs qui habitent ensemble. Dans ces procédés d’entreprise, il était très « fordiste », militant et a écrit beaucoup « d’ouvrages moraux » visant à l’amélioration de la condition du prolétariat industriel. La city of Détroit de Ford pensait-elle à une sorte de « Palais social » à la Gaudin ?
L’importance du fordisme à partir de 1910, marquera Détroit dans son architecture productiviste. Une modélisation du capitalisme dans l’urbain produit son propre décor24. C’est pourquoi cette ville qui a subi et continue à subir une dégringolade a davantage de mal à se remettre de ce mythe architectural qui, dans le centre de Détroit, s’extirpait de la monotonie dans le « zonage urbain »25 et laissait entrevoir une grande diversité. Et quand une ville se diversifie dans ces décors inattendus, elle vit.
L’architecture a été embellie dans ses représentations par les entreprises et les sièges de l’automobile. L’architecture capitaliste avait peut-être tout intérêt à rester sur place et à lancer une renaissance26 pour maintenir un code de « croissance sans limites », insistant par conséquent sur la prouesse d’un monde qui est venu, qui est là et qui doit encore revenir. L’architecture et l’urbanisme traduisent « l’esprit du temps » qui est moins saisissable que dans d’autres champs (économie et politique), nous dit Liliane Voyé.27 La tentative de renaissance de Détroit entre la période du « modernisme »28 (ou fonctionnaliste) et du « post-modernisme », recouverte entre autres par ce zonage d’espace où chaque territoire avait une fonction précise, le plus souvent livrée à la voiture, à la circulation et au stationnement inspire alors un caractère qui rejetait le caractère local d’un quartier. Les espaces sont alors distribués par ces zones mono-fonctionnelles d’activités, d’immeubles, d’usines et de pavillons, ces mêmes zones fragmentées dans des espaces sans statut précis, quadrillés et obnubilés par la circulation qui rendront la ville incohérente dans son plan. C’est ainsi que le « post-modernisme » qui arrivera dans le milieu des années 1970 arrive en pleine crise de l’industrie traditionnelle, finances publiques, crise de l’État29 ainsi la ville se coupe réellement d’elle-même. Par conséquent, les nouvelles constructions se construisent sans aucune cohésion urbaniste, sans confiance peut-être, comme tombée du ciel.
Le « renaissance center » commandé par Henri Ford II 30 reflète bien l’optimisme libéral de cette architecture monumentale. Le « renaissance center » offre un panorama sur les ruines et reliques architecturales devenant comme incrustées et habituelles aux caractéristiques des paysages de Détroit dans l’imaginaire collectif. Ce contraste dessine une fiction futuriste, la Robocop city prend toute son ampleur, la « suburb » qui essaie d’entamer sa mue, de renaitre par les initiatives locales et de l’autre côté, le « Downtown » une ville dans la ville à commencer à germer à partir des années 70 : la « Delta – city ».
Voici quelques passages tirés de l’article de Florent Tillon sur Détroit, Robocop City :
Le Renaissance Center est considéré, par les habitants eux-mêmes, comme une forteresse du pouvoir. Construit dans les années 70, il apparaît comme l’emblème de la réaction pré-reaganienne, entamant le processus de construction de cette fameuse société de la peur, répandue à présent sur tout le territoire américain, ou presque…
Le Renaissance Center, Détroit ville sauvage, Florent Tillon 2010
Basé sur l’idée promotionnelle que cette partie du centre-ville, une fois rénovée, amènerait une nouvelle prospérité économique à la ville, le Renaissance Center traduit en réalité l’angoisse des classes dirigeantes, livrées à la décadence des fumeurs de crack et des voyous dégénérés en tout genre qui ont commencé à occuper le terrain des magasins vides du downtown, pourtant si animé, autrefois. C’est un peu comme si les joyeux habitués du lèche-vitrine, l’esprit occupé à savoir si le jaune ou le vert serait de meilleur augure pour leur prochain costume de sortie, avaient été remplacés, un à un, lentement, mais inexorablement par des individus sombres, à la démarche douteuse, et à l’haleine fétide… Plongées ainsi en quelques années dans un film de Romero, les entreprises ont sauté sur l’occasion pour abandonner aux zombies les tours du vieux Detroit et se précipiter dans la forteresse, au chaud, et en sécurité…
Cette ville dans la ville, cette forteresse : la « delta city » s’isole, on peut y vivre, sans toucher la réalité d’en bas, nous évoquant la représentation de la Zalem 31 du manga Gunm, ville suspendue dans les cieux.
Zalem, une ville et une société à l’image d’une utopie et la décharge Jéru, en-dessous, qui représente au contraire la contre utopie (sombre, violente…).
Il y a là, la concentration du pouvoir des sièges des industries, dont Général Motors et Chrysler ainsi que concentration des hôtels, salles de sports, centres commerciaux, salles de conférence, restaurants, etc. On peut y vivre en étant en quelque sorte déconnecté de la ville de plein pied et de ses réalités tout en restant hyper-connecté à l’extérieur de la ville (ref. article Néo-nomades). Le fait de surélever la ville dans cette deuxième croissance de Détroit pose question sur la cause de celle-ci : des passerelles aériennes pour piétons et un métro aérien qui l’encercle pour relier d’autres buildings dans le City of Détroit (ce downtown désert). À ce sujet, Chicago au début du XXe siècle est la ville pionnière développée en « coupe », car la ville avait un choix pratique à faire par manque d’espace constructible, ce qui a conduit à penser et à inventer de la superposition avec des « rues à étages » et des édifices avec plusieurs activités en leurs seins et de faire des « villes dans la ville »:32 on construit une ville avec ses réseaux, congestionnés et denses tout en laissant une urbanisation sans limites se répandre dans les plaines. Cette ville moderne à étages 33 s’est édifiée très vite et est proche de ce que l’on observe actuellement en Asie ou en Arabie Saoudite. Est-ce une raison pratique d’évitement à l’autre ? En conséquence, les cadres peuvent même sortir du centre sans mettre un pied dans la rue. La « City of the Future » de Harvey Wiley Corbett en 1913, prend toute sa place ainsi que le rôle de l’OCP dans le projet de Delta City dans le film Robocop de Paul Verhoeven, qui assure à tous ses habitants : la sécurité avec la police des polices, les soins, les assurances santé, les transports, l’énergie, etc. Dans ce film, on voit clairement les politiques publiques chancelantes et les organismes privés assurer la succession pour redonner sérénité à la ville par des méthodes des plus contestables. Dès lors, General Motors se place comme responsable des revenus, de la retraite, et de l’assurance vie de la plupart des habitants de la ville. En réalité, la Delta City se transpose au Renaissance Center qui est la seconde forteresse qui justifie les évolutions de périurbanisation, de ségrégation et de ghettoïsation d’un territoire. On veut maintenir un code post-industriel jusqu’au bout. Peut-on penser que nous assistons à des politiques de « repeuplement urbain » en parcellisation, en surfant sur le thème de murder city comme cancer ?
« City of the Future » de Harvey Wiley Corbett en 1913
Richard Rummell, Future New York (1911-12)
Projet : Delta-City dans le film : Robocop 3.
Un type de néo-féodalité qui peut aller à son paroxysme digne d’un film/animation à l’image d’un Mad-Max et d’un Ken le Survivant, avec sans délimitations précises, des zones urbaines sauvages/survivantes à certains endroits. Toutefois, sur Détroit, ce propos reste bien sûr à modérer par les nombreuses initiatives d’associations locales et le développement disparate de ce « délaissé du bâti » ou le végétal reprend ses droits. Une ville futuriste dans son projet n’est pas tant prévu que ça, le « progrès » est relatif à chacun : d’une part, on reste sur un présent à double vitesse (le futur, ce n’est pas pour tout le monde), d’autre part, un effondrement relatif qui ramène à un passé ; et en dernier lieu, un futur déjà présent plus compliqué à délimiter… Les romanciers ou réalisateurs qui imaginent ce qu’ils pensent être des « progrès » ne sont pas si utopiques que ça, le futur-déjà-présent est souvent incarné, il n’est pas tant surprenant.
L’air depuis longtemps irrespirable, l’eau depuis longtemps polluée, l’électricité depuis peu en panne, les habitants sont alors contraints à un exil qui les libère. Ils s’éparpilleront dans des campements de fortune où ils se réconcilieront avec la Nature et réinventeront l’agriculture et le village. La Cité futuriste apparaîtra alors comme une étape pour un retour vers le présent… 34
La ville futuriste : autoritaire et néo-féodale de Cité 17, dans Half Life 2
La BD, les jeux vidéo et le cinéma font appel à des représentations urbaines à tendance dystopique, montrant toujours à un certain niveau la transgression de la ville arrivé à son apogée de cité idéale qui est de fait, une contre utopie. L’exemple de Batman avec l’architecte fanatique de Cyrus Pinkney pour la Gotham City et son image trop moralisatrice ; la ville forteresse se doit d’être épuré de la corruption, néanmoins son atmosphère reste oppressante : des buildings trop sûrs, trop protecteurs et trop stricts35 qui provoquent à la paranoïa collective. Batman existe par Gotham qui accouche dès lors d’une multitude de dangereux personnages, tout aussi atypiques les uns que les autres. Le cinéma a souvent interpelé la ville futuriste, comme une « ville dans la ville » avec son organisation, de par des contrastes de paysage urbain : de tours amochées et isolées et d’autres luxueuses et surprotégées. Les travaux d’Hugh Ferris avec l’ouvrage d’illustration intitulé The Metropolis of Tomorrow de 1929 influenceront largement la Gotham City.
Gotham City, dessin de Jim-Lee. La « mégalopole forteresse » aux gratte-ciels sombres. Gotham city est représentée comme l’incarnation des peurs urbaines qui ont aidés à la formation de banlieues américaines (ces quartiers paradisiaques et sécurisés, à l’extérieur des villes). ©Archi&BD
Aussi fictifs que soient ces scénarios de villes, il n’en demeure pas moins qu’elles nous renvoient à des problématiques bien réelles.
Les projets d’Hugues Ferris mettant en exergue la notion de « ziggourats modernes ». Ils sont reliés entre eux pour assurer une circulation interne; ici sont concentrés les sciences, l’art et le business. Cette esquisse d’Hugues Ferris s’inspire de l’architecture Mésopotamienne appelée le « ziggourat », cette disposition pyramidale inspirera la forme des gratte-ciels construits dans le style « néo-américain » (mélange des styles Beaux-Arts et Art-Déco). Il faut aussi regarder le travail de Francisco Mujica, dans History of the Skyscraper (1929), avec sa « ville de cent étages dans le style néo-américain. F.Mujica était Archéologue et architecte mexicain, il trouvait dans la pyramide en escalier précolombienne une influence non négligeable, pour rentrer dans les exigences de la « loi du zonage » de New York (1916) tout en exprimant un style « américain » autochtone.
Le Guardian Building est construit à Détroit en 1928 à 1929 dans un style « néo-américain ». L’immeuble est décoré de motifs amérindiens. Ces motifs dans le hall du Guardien Building présentent un éclectisme36 et une histoire commune avec les peuples amérindiens. En outre, ce style architectural très french touch, pas de soi aux États-Unis au début du XXe siècle introduit un certain universalisme obtenant un grand retentissement aux États-Unis.
Le Fisher Building est un gratte-ciel situé à Détroit. Toujours dans la même dynamique, il est construit entre 1927-28. On allie le style éclectique et Art-Déco avec une touche ziggourat. Il est conçu par l’opérant architecte Albert Kahn qui, comme Jean-Baptiste André Godin dessinait les usines sans les dévaloriser et les considérait comme « palais social du travail », il ne voulait pas mépriser l’architecture industrielle.
Ce même Albert Kahn organisait son travail par des processus scientifiques sur une base fordiste. Les bureaux d’architectes sont construits pareillement à des usines : des conditions optimales vont avec un travail efficace.37 La rencontre avec Henry Ford sera déterminante pour Détroit, c’est pourquoi il est capital de comprendre ce mutualisme, avec H. Ford et son idée d’usine établie sur un système d’inspiration tayloriste,
qui induit notamment la chaîne d’assemblage unique et le travail d’A. Kahn, qui par son expérience du béton armé pourra réaliser le rêve de concevoir l’usine sur un seul étage, posant des ensembles très étalés. A. Kahn permet à H. Ford l’essor sans précédent de l’industrie automobile qui marquera en profondeur la ville. Cette expérience de production de masse et de développement amènera Détroit à une sorte de standardisation architecturale38 pour les bâtis de grandes envergures, qui rejoignent la mono-spécialisation de la ville, comme expliquée dans les articles précédents. Dans ce duo, on trouve la preuve d’une habilité à combiner innovation structurelle et éléments architecturaux historiques39 . Albert Kahn, par son oreille attentive, sait être des plus flexibles pour proposer une grande diversité d’architecture pensée, de l’usine économique au gratte-ciel d’affaire et de presse (Detroit Free Press Building), des lieux de cultes avec le temple Beth El aux universités spacieuses et ornementées40. En effet, Détroit nous surprend qui, malgré sa désolation, reste une ville très ornementée au grand passé et dont l’histoire architecturale éclectique a posé un grand rêve. Pourtant, la ville a été accompagnée d’une idée architecturale soucieuse du bien public41. Albert Kahn dira de ses propres mots que l’architecture doit rendre service à sa fonction première : régulation, opérante et monumentale. Cette appréhension « fonctionnaliste » tisse le lien avec les plans de General Motors Building, qui n’est pas sans rappeler dans leurs dispositions un certain « Plan Voisin » du Corbusier. Albert Kahn a toujours gardé une certaine reconnaissance au mouvement des « Beaux-Arts » français en s’inspirant de l’image du fonctionnalisme pensé pour les habitations en faisant attention à la monotonie, et restera contre une vision purement moderne 42 de la forme de l’architecture. C’est ce qui donne à Détroit ce côté unique : moderne et traditionnel. Le modèle des usines à Détroit séduit tellement qu’il sera exporté en URSS, en Italie et influencera toutes les usines de voitures en France, comme l’usine de Louis Renault à Boulogne Billancourt, André Citroën pour Javel (Paris) et Robert Peugeot sur Sochaux, entre 1920-1930.
À Détroit, le « cristal palace » de l’industrie sera implanté par le Highland Park Plant, première commande d’Henry Ford en 1908, la chaine de montage était encore sur quatre étages. Après réflexion et affinement du processus, la chaine de montage sera concentrée sur un même niveau avec la construction de la River Rouge Plant en 1917 (infrastructure industrielle sur la rivière rouge). Ici, la chaîne de montage a été perfectionnée : elle va de la matière à la finition sur un site, le minerai de fer est fondu et transformé en acier qui sera directement déposé dans un moule en forme jusqu’aux divers composants, tels sièges et tableaux de bord. À la fin de la chaîne, l’automobile achevée est numérotée et placée sur un train de marchandises ou semi-remorque, prêt à être expédiée à travers le monde. C’est une révolution.
Highland Park Plant, nous pouvons voir les fameux détails typiques de l’Art-Déco et de l’éclectisme, typique d’Albert Kahn
Recueil d’une balade sur la Rouge, de Geoff Georges :
Il y a encore une dizaine d’années, la Rouge du côté de Dearborn était tellement contaminée qu’en y jetant une allumette, ça pouvait brûler. La Rouge avec ces hauts fourneaux et l’usine électrique ont une certaine beauté angoissante, à cause du danger invisible
On planifie au maximum, avec des industries et des commerces tout en préservant des petites idylles du rêve américain dans certaines parties de la ville. A. Kahn a toujours joué sur ces deux tableaux en gardant quelque impact d’ornementation traditionnelle sur la façade des usines.
River Rouge Plant, cet énorme complexe de la rivière Rouge était la plus grande usine dans le monde au moment de sa construction, en 1928 © Geoff Georges
Détroit veut garder sa façade de ville fonctionnelle et opérationnelle, pourtant elle fut mise à rude épreuve suite à la succession de maintes crises spécifiques qui débutèrent en 1930. La Seconde Guerre mondiale donna un premier souffle à Détroit qui fut « l’arsenal de la démocratie » au cœur de l’effort de guerre, et qui constitua le postfordisme. Les acteurs privatisés43 prennent davantage le relais et se décentralisent peu à peu, du grand programme commun régulateur de planification urbaine et de travail après le début des années 1960. À cette époque, les grandes villes du monde, surtout industrielles, étaient tenues à de grands principes urbanistiques : la ville doit fournir des solutions pratiques et hautement architecturales influencées par la Charte d’Athènes, ce qui orchestra tout l’urbanisme fonctionnel avec des séparations spatiales déterminées.
Steve Faigenbaum pense qu’il faudrait dans le contexte américain à l’exemple de Détroit, un État plus renforcé (un État plus Jacobin à la française) et inversement en France, plus d’autonomie et d’initiative dans la solidarité de chacun 44. Détroit comme archétype du déclin de civilisations, avec la décadence de l’American Dreams comme prélude au reste 45? La décroissance est alors inéluctable, les sociétés sont trop complexes au-delà des arguments dogmatiques qu’il faut baisser la natalité, et surtout, le maintien de la croissance infinie dans un monde fini ce qui matérialise : une évolution toujours plus complexe par des besoins croissants du budget énergétique46. [Cet activiste noir récapitule simplement, dans le documentaire de S. Faigenbaum : « On ne sait pas et on n’a pas su regarder les problèmes en face »47. Philippe Rekacewicz nous dit :
Les élites ont toujours voulu croire aux lendemains qui chantent : nouvelle innovation, nouveau cycle, « ouragan perpétuel de destruction créatrice ». Detroit est façonnée par cet optimisme libéral qui, à chaque fois qu’il est mis à mal, trouve à se ressourcer dans la certitude que la croissance n’est jamais loin de la crise. La construction, sur le site fondateur de la cité, du Renaissance Center, commandé par Henri Ford II, quatre ans seulement après les révoltes de 1967, en est le reflet le plus éclatant. Confortablement attablés dans le restaurant situé au soixante-treizième étage de ce gratte-ciel qui accueille depuis 1995 le siège de GM, les hommes d’affaires déjeunent. Sous leurs yeux se déploie le panorama de la ruine, un paysage de reliques où les traces de la violence se sont sédimentées. Comment dire l’effondrement et la catastrophe lente48.
L’urbain pris dans le jeu productiviste-capitalistique pensait donner un sens en tentant d’unifier le monde dans son code propre, nous voyons qu’il y a toujours cette tentative paraphrénique49 de vouloir encore rendre, le bâti comme une représentation de pouvoir du capital : la reconnaissance d’un passé et un futur qui peut encore donner le rythme. Toutefois, ces successions démontrent en plus les contradictions internes du mythe du progrès qui doit se retrouver et se reconstruire autrement.
La faillite municipale (collectivités locales) des États-Unis50 symptomatique de la carence urbaine n’est pas forcement lié à une mauvaise gestion locale comme certains le pensent. Effectivement, si les dettes publiques se résorbent à long terme et que le plafond de dettes privées est actuellement au-delà du réel, dans notre cas, les priorités ont été mal ordonnées sans aucune subvention globale (plans de sauvetages) pour les villes américaines en faillite. La FED et le congrès ont mis davantage d’efforts à sauver les grandes institutions financières de Wall Street en 200851 que les sorts des villes américaines dans leur transition urbaine.
©DIESEL CITY DE STEFAN
Détroit est à regarder au futur antérieur dans sa représentation avec le prisme du mouvement Dieselpunk52 incarnant dans son ambiance urbaine : un mouvement de déchéance de la civilisation pétrole et sa liberté de mouvement gardant l’esthétisme de l’Art-Déco et néogothique sous ses multiples formes : architecturales et design, pris dans la démesure de l’idéologie fordiste. C’est le vieux rêve futuriste de l’Amérique qui s’incarne dans le courant du rétro-futurisme, apparu au cours des années 1960. Ce courant allie la technologie à des principes sociétaux-réactionnaires et pour mener à bien cette épopée, le rétro-futurisme se projette à donner vie à des idées et à des visions contenues dans la technologie et l’architecture des récits futuristes du XIXe et début XXe. La création du Steampunk en 1987 donne à réinterpréter un héritage, un patrimoine, d’un futur qui n’est pas advenu, avec les revues Science and Mechanics et les Air Wonder Stories entre 1929 et 1950, dont le dernier n’hésitera pas à projeter, à penser des « villes aéronefs ».
Le rêve américain des années 1980 réinterprète entre autres, ces grandes métropoles du nord des États-Unis qu’ils baptiseront le Raygun Gothic avec la nouvelle The Gernsback Continuum qui faisait l’état des lieux des architectures futuristes entre les années 1930 et 1940 et qui concrétisera un rêve rétro-futuriste, un lendemain qui n’a pas eu lieu. Mais qui restera porté sur la machine, l’architecture urbaine et le système de transport par l’esthétisme automobile53.
Air Wonder Stories, et une représentation d’une « ville aéronefs »
Une société technologique et industrielle a été débridée faisant surgir une sorte d’avant-garde néo-féodale où l’on observe une grande banlieue qui essaie de se restructurer par de nouveaux développements communautaires dans l’urbain, qui demande une attention particulière dans ces nouvelles formes de solidarité. Un basculement s’opère délicatement entre la « firme » économique54 et coopérative de nouvelle génération. Un sage proverbe des Indiens d’Amérique : « Lorsque le dernier arbre aura été abattu, lorsque la dernière rivière aura été empoisonnée, lorsque le dernier poisson aura été pêché, alors seulement vous découvrirez que l’argent ne se mange pas ». Ce proverbe clairvoyant s’impose par lui-même et fait peut-être prendre conscience de la volonté à réaliser les efforts nécessaires pour se réinventer afin de s’adapter à la réalité de la situation. Les conséquences s’imposent d’elles-mêmes et souvent, de façon brutale.
La représentation du délitement urbain de Détroit n’est pas forcement transposable dans le contexte européen et le cas français. En revanche, la ville se métamorphose et répond à de nouveaux défis urbains qui pourraient délimiter un certain avenir dans nos métropoles55: de nouvelles centralités et verticalités ; concrètement de quoi parle-t-on ? Une immanence autogérée dans les périphéries qui pourrait faire renaître des utopies urbaines ou initiatives locales, qui posent question à toutes métropoles en occident. Détroit dans cette situation particulière et localisée pourrait en réalité présager d’une situation globale nationale américaine, néanmoins, il n’y a pas d’étude scientifique précise et il serait hasardeux d’en tirer une quelconque relation mécanique de causalité d’un jeu de domino. Toutefois, la combinaison des faits est suffisamment troublante pour que l’on s’y intéresse de plus près.
Quelle est la proportion de l’abandon au matérialisme pour revenir à l’essentiel symbolisé par le retour à la terre dans un esprit néo-rural56. Ce temps passé à Détroit, les habitants n’ont pas le choix, ils résistent et inventent de nouveaux styles de vie non pour plaire, mais pour survivre en se ré-enracinant localement. Le délitement d’un quartier entraine la disparition des commerces et services, on peut parler effectivement de « ghettos » quand le chômage s’accroit, les écarts sociaux se creusent, la ségrégation raciale se renforce57. Par rapport à plusieurs évènements successifs dans l’histoire de la ville avec l’explosion raciale de 1967 et ses 43 morts ; l’élection de Coleman Young en 1973 qui a indirectement fait fuir les populations blanches dans les suburbs ou gated communauties et les successions de voitures brûlées à chaque Halloween.
En premier plan une église au style Tudor avec derrière, le renaissance center.
La nouvelle du 18 juillet 2013 de mis en faillite58 montre un décor qui continue à s’écrouler et la réalité dévoile dans le territoire d’énormes « trous noirs » du fait que la ville, par sa géographie naturelle est en effet l’une des villes les plus étendues des États-Unis. Les quelques bâtiments ne trouvent que très peu de repreneurs seulement ? Certains qui spéculent sur le rebond futur de la ville afin de réaliser d’importantes plus-values par rapport au phénomène de gentrification. Détroit dès son origine en 1805, avait subi déjà de grands incendies, il en est sorti ce slogan assez providentiel : « nous espérons de meilleures choses ; il en résultera des cendres ».