Comment adapter son jardin et potager au réchauffement climatique ?

Un article co-écrit avec Les 4 Saisons, magazine de Terre vivante.

 

Cette année, le début d’avril a été très chaud (2-3 jours relevé à 30°C) puis on a observé un brusque retour de gels. Les gelées n’ont pas été spécialement plus tardives (au contraire) mais, comme les floraisons ont été plus précoces, elles ont fait beaucoup de dégâts et témoignent des effets du réchauffement climatique.

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Un pommier en fleurs pris dans la glace – Suisse début avril. Dans ce pays, comme beaucoup en Europe, les floraisons surviennent en moyenne 3 jours plus tôt chaque décennie. En 60 ans, c’est 18 jours de précocité de “gagner », les vignes deviennent plus exposées aux gelées printanières,  (voir ici).

 

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Ensuite, le mois de mai a été particulièrement pluvieux et frais (et ce, dans de nombreuses régions). Tous ces aléas illustrent les effets du changement climatique, que tous les climatologues observent, tout comme les jardiniers. On remarque en effet que les périodes de gel sont moins longues, les hivers trop doux, les automnes trop secs… et les périodes de sécheresse bien plus longues qu’il y a encore une dizaine d’année. Ces sécheresses à répétition ajoutées aux canicules, font des ravages en forêt ; elles affaiblissent les arbres, en particulier les hêtres qui ont besoin de beaucoup d’eau. Ils pourraient être menacés de disparaître du territoire sur le long terme.

 

 

 

Le magazine Les 4 Saisons nous a proposé cette table ronde sur le sujet.

 

 

 

Cette table ronde permettait de refaire un point précis sur les conséquences observables de ce changement climatique dans les jardins et au potager : qu’observe-t-on ? Des printemps plus secs ? Des hivers plus doux ? Quelles solutions pour jardiner autrement ? Pour un professionnel, comment continuer à cultiver et produire avec constance ?

Entretien avec Blaise Leclerc

Auteur du livre : Légumes et canicule – Adapter le potager au réchauffement climatique

Légumes et canicule

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– Quelles sont les grandes conséquences dans les jardins de manière générale et dans votre contexte ? Les variations trop fréquentes au niveau des températures sont-elles significatives du dérèglement ?

Vous précisez que le problème, ce ne sont pas les gels tardifs, mais des hausses des températures inattendues en fin d’hiver et que les périodes de sécheresses au jardin sont plus longues, à contrario il n’y a pas assez d’ensoleillement et de chaleur pour la bonne production de légumes (cycle maturité). La végétation est en avance, les plantes se réveillent trop tôt et la météo peut jouer des tours avec les gels.

Effectivement, il y a toujours eu des gels tardifs au printemps, mais les dégâts étaient moins importants car le début du printemps restait frais et donc la végétation était moins avancée, surtout les arbres et autres plantes pérennes, qui n’avaient pas encore fleuri. Ces dernières années, les hivers plus doux et les débuts de printemps chauds entrainent une floraison anticipée, et donc des risques de pertes énormes si un gel tardif survient, comme ce fut le cas cette année.

Malheureusement le réchauffement climatique n’est pas un réchauffement homogène et uniforme, mais provoque une perturbation complète du climat, avec des phénomènes exceptionnels de plus en plus fréquents et violents, et des prévisions météorologiques difficiles à établir. De ce fait, paradoxalement, il peut faire plus froid au printemps, mais beaucoup plus chaud durant les périodes de canicule. La pluviométrie peut aussi augmenter beaucoup dans certaines régions, mais pas dans d’autres. Pour continuer de jardiner dans de telles conditions, je pense qu’il faut semer et planter plus souvent afin d’augmenter les possibilités de récoltes en cas de météo capricieuse. En Europe, le ralentissement possible du Gulf Stream donne une incertitude supplémentaire sur l’avenir du climat.

 

– Quels sont les nouveaux moyens pour s’adapter au jardin ? Faut-il davantage cultiver en automne/hiver et moins compter sur le jardin d’été ? Ainsi, on échelonnerait les cultures d’été jusqu’en automne, comme le climat est encore chaud et sec à cette période.

Pour les fruitiers, il est sans doute préférable de privilégier les espèces tardives, mieux à même de passer à travers une gelée tardive si la floraison n’a pas encore eu lieu. Au potager, surtout dans les régions continentales et méditerranéennes, classiquement chaudes en été, les légumes risquent de souffrir de plus en plus souvent à cause des périodes caniculaires et/ou du manque d’eau. Privilégier les légumes d’hiver ne signifient pas forcément prolonger les cultures d’été le plus tard possible en automne, mais tout simplement de penser à cultiver le maximum de légumes d’hiver, ce qui n’est pas toujours le premier réflexe des jardiniers (on pense avant tout au potager de la « belle saison », et on a tendance à oublier de semer et planter des légumes pour l’hiver (par exemple : carotte, chou, radis noir, navet, poireau, chicorées, mâche, panais, salsifis, etc.).

 

– La gestion de l’eau dans ce contexte : la solution est-elle celle de l’arrosage par capillarité, avec les oyas, ces récipients de terre cuite que l’on remplit d’eau et qui alimentent les plantes au rythme où elles en ont besoin ? Mais ceux-ci ne sont pas forcément adaptés à tous les sols : Pascal Aspe, du Centre Terre vivante, note que l’intérêt semble limité en terre argileuse.

Effectivement Pascal Aspe a raison, le oyas ne sont pas forcément bien adaptés aux sols argileux. Ces derniers, retenant bien l’eau, peuvent être arrosés traditionnellement. Concernant l’arrosage en général, il faut veiller à mieux économiser l’eau, en paillant d’avantage, en arrosant aux bons stades pour chaque légume (voir par exemple mon livre J’économise l’eau au potager), en choisissant des espèces mieux adaptées au manque d’eau (par exemple des pois chiches au lieu des haricots secs). En cas de grosse pénurie d’eau, il faut savoir aussi choisir les légumes à « sauver » et les autres à abandonner, comme j’ai dû le faire chez moi deux étés de suite par manque d’eau avant la fin du mois de juillet. Dans ce cas j’ai privilégié les légumes d’hiver, au détriment de légumes d’été comme le maïs doux ou les haricots verts.

 

– L’aménagement d’un potager doit-il forcement se penser selon le modèle du “jardin forêt” ? Les cultures annuelles au pied des arbres, ce n’est pas évident dans toutes les régions ?

Je n’ai pas une longue expérience du « jardin forêt », mais je pense que comme pour toute technique jardinière, il faut savoir l’adapter à ses conditions de sol et de climat, et à chaque plante cultivée (légumes et arbres). Vous avez raison, les cultures au pied des arbres, ce n’est pas évident dans toutes les régions. L’arbre procure de l’ombre et une atmosphère plus fraîche, mais les légumes ont besoin de soleil aussi ! C’est un équilibre à trouver, à tester dans chaque jardin.

 

– Dans votre livre, vous préconisez quelques astuces : ombrager les semis avec des cagettes ; ne pas hésiter à semer ou à repiquer près des arbres ; penser en strates : les fraises ombragées par des grande fleurs, mettre en place une “milpa” où le potiron pousse à l’abri du maïs et des haricots ; mais également associer les légumes: les haricots à rame et les laitue, pommes de terre sous les fèves, courgettes sous les kiwis, courges au pied des figuiers, etc.

Les associations de légumes (le grand fait de l’ombre au petit) sont plus faciles à mettre en place qu’une forêt jardin, et moins risquées car si ça ne fonctionne pas, on peut tester autre chose l’année suivante. C’est beaucoup plus compliqué si on commence à envahir son potager d’arbres et que l’on s’aperçoit ensuite que ce n’était pas une solution formidable…

 

– Est-ce que les indices de “zone de rusticité” pour la plantation de végétaux sont encore pertinents ?

Je ne peux répondre à cette question, n’étant pas spécialiste des plantes pérennes.

 

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Cliquer sur image pour découvrir le livre

 

Jean-Paul Thorez sur la « phénologie » (l’étude de l’apparition d’événements naturels tels que floraisons, feuillaisons, chute des feuilles…, déterminés par les variations saisonnières du climat).

Auteur du livre référence de « Terre vivante » pour tout savoir faire au potager, image ci contre :

L’observation de la nature peut nous apporter beaucoup d’indications sérieuses au jardin. Ainsi les floraisons des arbustes permettent de donner le coup d’envoi pour certaines activités comme la taille, les semis, etc. ce qu’on appelle les repères phénologiques. Ainsi, la floraison du forsythia donne le signal des premiers semis et des travaux au jardin.  Jean-Paul Thorez note divers indices dans ses agendas depuis quarante ans, notamment la floraison du lilas. Il a remarqué qu’elle est plus précoce en moyenne de vingt jours. En été, même au nord du pays, les canicules sont plus longues, il est ainsi plus facile de semer des concombres qu’auparavant, des laitues grasses du sud de la France et les figuiers peuvent désormais s’acclimater en Normandie. Il n’y a pas que du négatif, on peut en profiter !

 

 

Pistes et conseils au jardin : aborder au mieux une nouvelle façon de jardiner dans les années à venir.

=> Sur le long terme, il faudra davantage cultiver en automne/hiver et moins compter sur le jardin d’été.

La chaleur ne veut pas dire plus d’ensoleillement : par exemple, un melon n’a pas besoin que de chaleur mais d’ensoleillement. Il n’est donc pas sûr qu’on puisse faire du melon partout malgré les canicules.

=> Plus de biodiversité dans les jardins : il faut davantage associer les fleurs et les légumes, amener de la matière organique et éviter les intrants.

=> Revoir sa vision des choses : le jardin n’est pas l’intérieur d’une maison, il n’est pas constructif de tout maîtriser, de lutter contre : il peut être utile de transformer tout ou partie de sa pelouse en prairie naturelle en pensant cet adage de vieux jardinier : « les allées font le jardin et les bordures font les allées ».

 

Le tondéisme peut empêcher l'expression du vivant - c'est encore bien présent dans nos mœurs ce besoin de maitrise absolu.

Le tondéisme – cliquer sur l’image pour découvrir l’article complet.

Ça y est, c’est propre ! Tout est rasé à 2 millimètres, c’est beau, une précision millimétrique, cela en est presque jouissif. Le tondéisme est une religion moderne qui pousse les humains (malgré eux), à des tontes compulsives et régulières envers tout ce qui prend un aspect “sauvage”.Vous allez pouvoir faire de vraies activités beaucoup plus enrichissantes que de tondre la pelouse, couper les buissons en boules, détruire les petites herbes qui poussent sur votre gravier, etc. C’est un gain de temps considérable pour tous ceux qui ont déjà eu un jardin “entretenu”. Source : 4emesinge.com

 

 

 

 

=> Au jardin, savoir d’adapter et ne pas tout prévoir sur un calendrier. Savoir être plus souple et aussi plus réactif pour intervenir dès qu’il y a des aléas. En retenant que les problèmes sont souvent des solutions, et qu’il faut humblement savoir perdre parfois du temps pour comprendre. C’est en faisant les inévitables erreurs et essais qu’on progresse dans ce contexte de changement climatique.

=> Adapter ses semences en les reproduisant soi-même, afin que les plantes soient plus résilientes au climat qui change trop vite, en faisant appel aux mécanismes de l’épigénétique qui permet à la plante de s’adapter aux conditions de culture et de transmettre ces informations à ses descendants (voir cet article de Pascal Poot sur le sujet) et dans le contexte d’un verger, on peut penser à la pratique de la greffe sauvage de Maurice Chaudière (ci-dessous)

 

=> Avec un automne plus sec et un hiver plus doux, quelles sont les nouvelles cultures à semer après les canicules estivales : par exemple le fenouil de Florence pourrait se développer en Normandie.

=> Enfin, revoir certaines variétés de fruitiers comme les cerisiers, pommiers, mirabelliers et privilégier en répertorier des espèces tardives qui vont fleurir à la mi- printemps et pas au tout début, comme les variétés ’Clocharde’ et Bellerose’ pour les pommes et les cerisiers : le ‘Geant d’Hebingen’, etc. Également, certains fruitiers serait moins exigent au niveau de la météo et du climat, c’est le cas l’amélanchier, le kaki, le néflier ; voir arbousiers et oliviers dans les climats continental ou en Normandie. Vous pouvez trouver une palette végétale sur ce lien.

 

Pour aller plus loin

 

=> Les saisons – jardiner avec ses décalages : Entretien en 2015 avec Antoine Blosse-Platière, qui préconisait à l’ époque : la diversité au jardin comme bon moyen d’adaptation et de résistance. L’article, ici.

=> N° 243 des 4 Saisons, juillet-août 2020, dossier Coups de chaud  – Stratégies et solutions : ombières, oyas, pergolas…

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=> Quelques pistes de réflexion pour aborder au mieux notre façon de jardiner dans les années et décennies à venir, de Gilles Dubus sur ce lien.

=> Au jardin résilient : bon sens et astuces face à de nouveaux défis, pour espaces en polyculture et ceux, cultivés qui demande peu d’entretien, une liste d’outils low-tech et efficaces, et d’autres sujets… l’article sur ce lien

=> Ton jardin est une quincaillerie – la recup au jardin, l’article sur ce lien.

 

=> Dans la video ci-dessous, les jardiniers dit les jérômes ont constatés un mois de mai, qui a été particulièrement froid, ce qui est aussi significatif du dérèglement climatique; il y a un risque que les légumes n’aient pas le temps d’arriver à maturité.

 

 

 

 

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